Il y a 20 ans, lorsque j’avais 19 ans, le monde semblait s’écrouler autour de moi. Avant ce fameux jour, mes parents n’avaient rien prévu de nous dire, c’était un secret, parmi d’autres, qui flottait au dessus notre famille en apparence « parfaite ». Durant mon enfance et adolescence, j’ai souvent pensé que ma sœur, si différente de moi, ne pouvait pas vraiment être ma soeur….et pourtant, je n’ai jamais douté de notre constellation familiale.

Il y a 20 ans, mon frère commençait ses études de médecine. En étudiant les groupes sanguins, il a compris que quelque chose clochait : Ce n’était pas possible qu’il soit de groupe sanguin O alors que notre père était de groupe sanguin AB ! En rentrant à la maison, il a alors lâché sous forme de blague : « C’est le facteur notre vrai père ou quoi ? ».

Mes parents, trouvant cela beaucoup moins drôle que nous, étaient alors obligés de nous dire la vérité et nous ont conviés le lendemain autour de la table familiale. Le contexte est banal : Un couple qui s’aime et qui n’arrive pas à avoir d’enfants, les tests révèlent que mon père est stérile. On leur parle d’insémination artificielle. Lors des consultations médicales qui ont suivies, les médecins leur ont fortement conseillé de ne jamais nous révéler la vérité (ce qui, à mon avis, arrangeait à l’époque mes parents, car ça leur permettait de passer, aux yeux des autres, pour une famille « normale » et « parfaite », comme ils le souhaitaient).

Nous étions les 3 sous le choc ce soir-là. Mon frère et ma sœur, des faux jumeaux avaient été conçus à l’Inselspital de Berne. Dans cette clinique, les fameux « cocktails de sperme » (Samencocktails) étaient la norme. Cela signifiait donc bizarrement, que même en tant que jumeaux, ils avaient probablement des pères différents. Ayant été conçue dans la clinique St-galloise, j’étais donc aussi de père différent. A ce moment-là, où le monde semblait nous tomber sur la tête, notre père a eu la délicatesse de demander à ma mère de bien confirmer devant nous qu’une stérilité n’affecte en rien les compétences sexuelles (plus les années passent, plus cet aspect me semble déplacé, choquant et profondément égocentrique !). La discussion de la soirée a été terminée par un « voilà, vous savez tout, la discussion est close. Il ne faut pas en parler autour de vous, ça ne regarde personne d’autre que nous, et de toute façon, rien n’est différent d’avant, nous sommes toujours la même famille». Chapitre clos. Le choc. Ce soir-là, avant d’aller nous coucher, nous nous sommes regardés les trois dans le miroir. Puis, comme pour essayer de gérer au mieux cette nouvelle traumatisante, nous avons commencé, d’un ton moqueur, à décrire à quoi le père de l’un ou l’autre devait probablement ressembler….

Je ne comprends toujours pas pourquoi, mais nous avons respecté pendant des années le vœu (l’ordre ?) de nos parents de n’en parler à personne. Comment un père médecin et une mère psychologue ont-ils pu exiger ce silence à leurs enfants, alors qu’ils auraient conseillé le contraire à tous leurs patients ? Pourtant, il n’est vraiment pas nécessaire d’être expert en psychologie pour comprendre que dans une telle situation, il est justement primordial d’en parler pour pouvoir digérer la nouvelle ! Ca confirmait cruellement le proverbe « les cordonniers sont les plus mal chaussés ».

Cette nouvelle a également ébranlé le socle familial auquel je croyais les yeux fermés. Que fallait-il croire ou ne pas croire à présent ? Si mes parents étaient capables de nous cacher pendant tant d’années une chose aussi importante, y avait-il d’autres choses que nous allions apprendre un jour ? Et qu’en était-il des valeurs, comme l’honnêteté, qu’ils nous inculquaient ? Que passait dans la tête de ma mère les nombreuses fois où elle avait mis en avant les ressemblances entre ma sœur et la famille paternelle ? Était-ce pour essayer d’oublier ? Pour se convaincre ? Pour nous convaincre ? Et mon père dans tout ça ? Avait-il toujours été si absent et distant envers nous à cause de cette absence de lien du sang ou était-ce juste dû à sa personnalité ?

J’ai traversé plusieurs phases après ce soir-là: la phase de choc, de perte de repères, à me demander qui je suis, d’où je viens…Qui est cet homme qui m’a transmis la moitié de mes gènes ? A quoi ressemble-t-il ? Me ressemble-t-il ? Partage-t-il les mêmes valeurs que moi ? J’ai souvent essayé de reconstituer une « personne » à partir de tout ce qui ne venait pas de ma mère et j’essayais de me l’imaginer. Je rêvais de le rencontrer un jour, juste pour le voir, juste pour savoir, juste pour avoir une réponse à toutes ces questions et pour connaitre cette partie de puzzle manquante de mon identité.

Des années ont passées… j’y pensais beaucoup moins. Puis, à l’arrivée de mon premier enfant, des questions ressurgissent : qui est ce grand-père inconnu ? Ces 25% de mon enfant ? Est-il encore en vie ? A-t-il fondé une famille lui aussi ? Repense-t-il parfois à son ancien job d’étudiant ? Sait-il que ce « job » a donné naissance à un bon paquet d’enfants devenus adultes ? J’ai alors naïvement entrepris des démarches auprès de la clinique St-galloise, évidemment restées infructueuses, avant de laisser cette histoire à nouveau de côté pendant quelques années.

En 2020, j’entends parler des tests ADN et je découvre des témoignages poignants de personnes dans la même situation que moi qui font, par ce biais, la rencontre de demi-frères et de demi-sœurs, et je me dis « WOW » ! Peut-être que je ne trouverai jamais mon père biologique, mais peut-être que j’aurais la chance de trouver par ce biais des demi-frères et des demi-sœurs ! Cela permettrait, d’une certaine manière, de retrouver cette part d’identité manquante ! Pour ne pas être une fois encore déçue par des démarches infructueuses, je me suis dit, en envoyant l’échantillon à MyHeritage, que ce test n’aboutirait sûrement à rien. Les résultats ont eu l’effet d’une bombe émotionnelle : Ils indiquaient que j’ai 3 demi-sœurs !!!! Après avoir digéré cette incroyable nouvelle, je leur ai écris un e-mail. Le même soir, je reçois une réponse de l’une d’elle ! Ce fut tellement irréel de recevoir un message de la part d’une demi-sœur dont je ne connaissais même pas l’existence la veille ! Elle était heureuse d’apprendre mon existence elle aussi, avait déjà fait la connaissance de l’une des deux autres et rapidement une rencontre s’organisa entre nous trois.

Nous avons passé une très belle journée ensemble, pleine de partages, de discussions, d’interrogations, de compréhension. C’était beau également de reconnaitre entre nous certaines ressemblances (certains traits physiques, nos valeurs et loisirs, et est-ce vraiment un hasard que nous ayons les 3 le même métier ?)

Cette première rencontre m’a fait énormément de bien ! A travers mes demi-sœurs, j’ai trouvé des réponses à certaines de mes questions car elles représentent aujourd’hui justement cette part d’inconnu que je cherchais. A travers un groupe WhatsApp, nous avons des contacts réguliers et nous nous comprenons et entendons d’une manière très naturelle, comme si quelque chose nous liait depuis longtemps. Ce quelque chose est notre histoire familiale commune, un père biologique et donc un bon paquet de gènes en commun.

Et ce n’est pas fini : En une année, notre « famille » s’est agrandie : nous sommes à présent 11 demi-frères et demi-sœurs dont 7 en contact régulier. Et nous nous réjouissons tous de passer un week-end ensemble dès que la situation nous le permettra ! Ensemble, nous gardons l’espoir de retrouver ce fameux donneur. Grâce au test ADN et à certaines informations récoltées par nos chères mères, les choses se précisent le concernant : Nous savons qu’il est italien (région sicilienne) et qu’il a été un collaborateur (« Mitarbeiter » d’après les termes précis d’un médecin-chef de l’époque qui devait répondre à une question d’ordre médical au sujet d’une maladie génétique concernant l’une d’entre nous). Ses dons de sperme ont abouti à des naissances entre 1979 et 1988 voire plus. Un collaborateur (donc très probablement médecin) italien, de longue date dans cet hôpital st-gallois. Les recherches se précisent de mois en mois et qui sait, peut-être qu’il lira un jour ce témoignage et qu’il se reconnaitra. Nous n’avons aucune attente particulière envers lui. Mais nous espérons un jour le rencontrer, voir son visage, savoir d’où nous venons, savoir qui il est et s’il est quelqu’un de bien.

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