Lorsque mon mari et moi avons parlé d’avoir un enfant, en 1974, nous rêvions d’un bébé à nous, avec ses beaux yeux verts et ma bouche expressive, avec son dynamisme et ma sensibilité. Nous étions un couple très proche, et nous avions pensé qu’il serait facile de concevoir un bébé assez rapidement. Mais une année suivait l’autre, et je ne tombais toujours pas enceinte.

Finalement, j’ai demandé à mon gynécologue de me faire faire des tests de fertilité. Ce fut une période pleine d’angoisse et d’attentes, mais le gynécologue n’a rien trouvé de particulier de mon côté. Il a donc conseillé à mon mari d’aller consulter un urologue. Nous avons commencé à nous sentir inquiets, et très déçus, mais nous sommes restés très proches et soudés. Après plusieurs tests, l’urologue a annoncé à mon mari qu’à cause d’une quantité très pauvre de spermatozoïdes, il lui serait probablement impossible de concevoir un enfant, et qu’il fallait que nous fassions des plans soit pour adopter, soit pour avoir recours à l’IAD. Au début, nous étions extrêmement déçus l’un comme l’autre. Nous nous sommes longuement demandés quel chemin emprunter par la suite, et finalement nous avons décidé que le recours à l’IAD serait préférable, car au moins la moitié de nos gènes passeraient à notre bébé, et j’étais résolue que je ferais tout pour que mon mari ne se sente pas exclu de ma grossesse, de l’accouchement ou de son rôle de Papa par la suite. Et puis, nous avions aussi peur que la démarche pour arranger une adoption serait trop longue et ardue. Même si ce fut un peu triste pour mon mari, nous trouvions que l’IAD serait la meilleure solution.

Donc vers le début de l’année 1978, nous nous sommes rendus au Frauenspital à Berne (le centre de fertilité le plus proche de notre ville, un des précurseurs dans ce domaine en Suisse) pour discuter avec le service des IAD. Là, nous étions accueillis par deux médecins très sympathiques, qui nous ont expliqué la démarche de l’insémination avec donneur et pourquoi les donneurs devaient à tout prix être respectés dans leur droit à l’anonymat absolu. Nous devions signer un contrat qui nous forçait à garder le secret « à jamais » de la conception de notre / nos enfants. Cela nous semblait un peu lourd comme « promesse », mais nous avons acquiescé et signé sur-le-champ. Ce qui nous choquait un peu, c’est que ce service n’avait pas de soutien psychologique pour les couples dans notre situation. Cela nous aurait été tellement bénéfique, car intérieurement, il faut bien dire que nous nous sentions un peu peureux et perdus devant cette situation inhabituelle. J’avoue que par la suite, nous n’avons pas réussi à complètement « obéir » aux règles de notre contrat, car nous avons annoncé à mes parents et frères, ainsi qu’au frère de mon mari, quelle démarche nous avions faite. Ils nous ont tous trouvé très courageux, et nous ont soutenus dès le début. Nous n’osions pas en parler à ma belle-mère, car nous craignions une réaction négative de sa part.

J’ai eu beaucoup de chance, car j’ai conçu ma fille aînée à la deuxième insémination déjà. La grossesse fut une période de grande joie pour mon mari et moi. Je lui ai été très reconnaissante d’avoir pu accepter ce bébé venu en partie d’un don, et mon mari a été heureux que j’aie accepté la solution du don de sperme pour concevoir notre enfant. Nous n’avons jamais eu le sentiment que ce bébé soit à moitié « un étranger / une étrangère », et la grossesse s’est déroulée extrêmement bien. Mon gynécologue, par contre, était désagréable avec moi jusqu’à l’accouchement et au-delà, car il était contre l’IAD, apparemment parce que les médecins à Berne faisaient une sélection pour trouver les meilleurs donneurs en pleine santé, et cela lui rappelait l’idéologie de Hitler pendant la guerre (…). Je lui avais dit que je n’avais pas besoin de son jugement, et qu’il devait s’occuper de moi correctement et oublier ses préjugés.

Notre fille est née à terme début 1979 (avec quelques difficultés à cause de ce médecin, très peu attentif et pas compétent), et pour mon mari et moi, ce fut le coup de foudre dès les premières minutes! Elle était belle à nous couper le souffle! Quel soulagement de pouvoir enfin rencontrer notre fille et la regarder dans les yeux! Nous avons rapidement crée un lien solide avec elle, et nous avons connu 3 années de bonheur à élever notre fille, qui était entièrement acceptée par mon mari et moi-même. Elle était tout simplement « notre fille » dès le début.

En 1981 nous avons décidé de retourner à la Frauenklinik de Berne, car nous ne voulions pas que notre fille grandisse seule. Mon mari et moi avons amené notre fille de 2 ans et demi avec nous, en train. Nous avions demandé auparavant s’il était possible de bénéficier d’un don du même donneur mais c’était impossible car il avait arrêté de donner. Sur place, une infirmière s’est occupé de ma fille pendant l’insémination. On m’a dit que ce matin-là, ils avaient « deux doses de sperme frais car une patiente s’est désistée » et on a demandé à moi et mon mari si nous acceptions ces deux doses pour « augmenter mes chances » de concevoir un bébé. Après quelques minutes de réflexion, nous avons accepté. Nous sommes rentrés à la maison et notre vie de famille a continué tranquillement.

Pour cette deuxième grossesse, j’ai conçu « notre bébé » du premier coup lors de cette insémination « mixte »… et presque tout de suite, j’avais des nausées cette fois, et mon ventre a grossi plus rapidement que pour ma fille aînée. J’avais changé de gynécologue, et à la palpation, ce médecin m’a prévenue que j’attendais peut-être des jumeaux. Je n’arrivais pas à le croire tout de suite. Nous nous sommes rendus à Berne, mon mari, notre fille et moi, pour la première échographie de cette grossesse. J’attendais bel et bien des jumeaux! Nous sommes tombés des nues, tellement nous ne nous attendions pas à voir ces deux petits êtres sur l’écran de l’échographie! Notre fille était très étonnée de savoir qu’elle allait être la grande sœur de deux bébés!

Il n’y avait aucun moyen de savoir à l’époque quel était le sexe de nos bébés, donc ce fut la grande surprise au moment de l’accouchement. Le travail a débuté spontanément, et j’ai pu accoucher sans trop d’intervention d’un beau petit garçon et d’une belle petite fille, au 8ème mois de la grossesse. Encore une fois, mon mari et moi avons été tout de suite tellement attachés à ces adorables jumeaux, et cette fois j’ai été très bien entourée, à la maternité principale de notre ville. Les jumeaux ont eu un très bon poids à la naissance, alors ils ont pu rentrer à la maison après 10 jours de petits traitements et de surveillance.

Mon mari et moi n’avons jamais eu beaucoup de temps pour penser à la façon dont les petits ont été conçus, car notre temps était partagé entre les interminables repas et changement de couches des petits et nos efforts pour nous occuper de notre fille aînée, qui avait un peu plus de 3 ans à cette époque. Nous étions très fiers de notre petite famille et très reconnaissants envers les donneurs qui avaient rendu ces conceptions possibles!

Ce n’est que beaucoup plus tard, lorsque notre fille aînée avait environ 6 ans, que quelques petits problèmes commençaient à surgir. Notre fille avait une très bonne mémoire, et elle s’était souvenue que nous avions fait un voyage avec elle à Berne en train pour me rendre dans une clinique, alors qu’elle était encore petite… et elle s’est demandée pourquoi nous y étions allés. Là, j’étais forcée de mentir, mais cela m’a donné un sentiment de malaise de devoir lui cacher la vérité. J’ai commencé à parler de cette problématique avec mon mari, pour voir s’il ne serait pas mieux de parler de leurs origines paternelles avec nos enfants, mais il était contre, alors j’ai respecté ses vœux, car il était un très bon père et je ne voulais pas gâcher sa belle expérience de la paternité. Mais le sentiment de malaise était présent dès que les enfants sont arrivés à l’âge où ils demandaient comment ils ont été conçus. Je n’aimais pas leur mentir.

Les années, puis les décennies ont passé à une vitesse incroyable, et ce n’est que l’année passée que nous avons finalement révélé la vérité de leurs origines à nos enfants, entre-temps entrés dans le début de la quarantaine et la fin de la trentaine. Ce sont les avancées scientifiques qui nous ont finalement poussés à tout révéler à nos enfants, car l’une de nos filles a rejoint un site ADN par curiosité, pour savoir plus sur ses origines ethniques. Il y avait là un danger réel qu’elle découvre des « cousins, cousines et demi-frères et sœurs » mystérieux et que nous serions obligés de parler à nos enfants de leurs origines à la toute dernière minute. Et cela, je voulais à tout prix l’éviter, pour qu’ils ne subissent pas un choc. J’ai donc eu une longue discussion avec mon mari, qui résistait un peu au début, me disant qu’il préférait que je leur dise tout sur leurs origines une fois qu’il avait quitté ce monde… Là, je lui ai dit que ce serait vraiment tragique pour nos enfants si j’attendais ce jour-là, car ils auraient manqué l’occasion de lui dire qu’il serait toujours leur Papa (un père très engagé, d’ailleurs…), qu’ils l’aimaient très fort et qu’ils acceptaient la situation.

Il a fini par accepter, et nous avons invité nos enfants pour un thé de quatre heures. Et c’est là que finalement, nous leur avons tout raconté, avec beaucoup de douceur et d’amour. Ils ont tout de même été assez choqués au début, mais nous avons eu tous une discussion très ouverte autour de la table, et ils trouvaient tous les trois que nous avions absolument eu raison de leur parler de la façon dont ils ont été conçus. Après quelques mois, ils avaient « digéré » la nouvelle et pour la plupart, ils ont continué à suivre leur chemin de vie normalement. Nous étions très soulagés, mon mari et moi, et je dois dire que nous nous sommes sentis délivrés d’un très grand poids: celui du silence, du secret, qui ne nous semblait jamais complètement naturel au sein de notre famille.

Maintenant il y a une aisance entre nous tous qui n’était jamais tout à fait présente auparavant. Une de nos filles a commencé à faire des recherches à travers des sites ADN, et elle a trouvé des demi-frères et des cousins, nés également par une IAD. Elle a pu se lier d’amitié avec certains d’entre eux, et elle trouve que ces rencontres ont enrichi sa vie.

Heureusement que pour nous, une famille très soudée, les nouvelles sur les origines paternelles de nos enfants n’ont pas provoqué de drames, mais je sais que d’autres couples n’ont pas eu cette même chance. C’est pour cela que je suis reconnaissante d’avoir un mari ouvert et paternel, et des enfants très compréhensifs.

Je suis contente que les couples qui ont recours aujourd’hui à l’IAD aient une expérience tellement plus naturelle et confortable que nous et les autres couples de notre époque. Pour finir, les cliniques de fécondation ont compris que les enfants ont le droit de savoir au moins quelques détails sur leur « père biologique », et qu’il est erroné de penser que l’on peut leur cacher la vérité sans leur faire subir parfois des dégâts psychologiques importants. Je suis convaincue qu’il est également meilleur pour le couple de pouvoir parler ouvertement avec les enfants de la façon dont ils ont été conçus. Je suis heureuse que ces progrès aient été faits.

Pour conclure, je dirais que malgré certaines barrières et tensions à cause du fardeau de la « loi du silence « pendant l’enfance et l’adolescence de nos enfants, nous n’avons jamais regretté notre démarche, mon mari et moi. Ce fut une très belle expérience d’élever nos trois enfants, et ces dernières années, de devenir également des grands-parents. Nous souhaitons une expérience encore meilleure aux couples qui ont recours à l’IAD aujourd’hui, maintenant que les lois ont changé et qu’il n’est plus nécessaire de garder un secret en somme assez lourd.

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