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Entretien avec Jules, donneur anonyme en Suisse entre 1990 et 1995

Jules s’est mis en contact avec Jessica et Vanessa de « Sur terre via donneur » suite à leur passage à la radio sur Forum RTS le 26 mai 2021 pour présenter leur plateforme. Il a généreusement accepté de s’entretenir avec nous pour nous donner son point de vue de donneur dans le contexte de la procréation médicalement assistée avec donneur. Son premier message de contact très touchant:

« Bravo pour votre démarche. Je suis tombé par hasard sur le Forum des idées/RTS.
J’étais donneur anonyme de 1990 à 95.
C’était émouvant de vous écouter.
J’ai peur d’avoir des dizaines de matchs… Pas évident. »

Intro:

Avant de commencer, j’aimerais préciser que mon témoignage est personnel, il n’est pas représentatif du ressenti des donneurs. Chaque donneur est unique avec son parcours et ses valeurs.

Pourquoi avez-vous décidé d’être donneur? Dans quel état d’esprit?

Un doux mélange d’antagonismes. J’avais pleinement conscience du bonheur et de la vie que je transmettais. De l’attente et des besoins existants. J’ai longuement réfléchi et culpabilisé par rapport à l’indemnité financière que cela me procurait.

À l’époque, les futurs parents finançaient leur(s) insémination(s). Ils devaient absolument être mariés depuis 3 ans et leur aisance était un critère de sélection. Ce point me pesait beaucoup. Ces règles devaient garantir une enfance heureuse au sein d’un milieu social favorisé et c’était là un point de désaccord avec le système. Cette discrimination de classes m’apparaissait injuste.

En conclusion, je me rappelle m’être dit que j’assumais avoir de bons gènes et que si je ne l’avais pas fait un autre aurait pris la place. Instinctivement, c’est plaisant et flatteur pour un homme d’être sollicité pour transmettre la Vie. Cupidité et altruisme s’entremêlaient. Je joignais l’utile à l’agréable. Je procurais du bonheur tout en bénéficiant d’un bilan de santé complet et d’un suivi médico-sexuel (c’était les années sida). Au fil des années est apparu un sentiment de puissance liée à ma progéniture supposée prolifique. Je pourrais qualifier spontanément ce sentiment de « syndrome Gengis Kahn ».

Le Professeur en charge du programme d’insémination était le grand alchimiste de l’appariement. Les parents lui faisaient confiance, les donneurs aussi. D’après les explications qu’il me donnait, en tant qu’anonyme ma fiche se résumait à « Origine ethnique, taille, morphologie, couleur des yeux et des cheveux » et ainsi de suite pour chaque donneur. Le professeur disposait de cartes (pour chaque donneur) afin de déterminer le plus proche possible du futur papa. D’ailleurs, la non-concordance physique évoquée dans l’un de vos témoignages m’a surpris.

En signant comme donneur anonyme, nous prenions aussi l’engagement inverse de ne pas rechercher à identifier notre descendance et de ne jamais tenter d’entrer en contact. Le Professeur me disait aussi procéder à des échanges afin de préserver la diversité des ADN donneurs. Je me rappelle d’échanges avec des banques de sperme au Canada et en France notamment.

À propos du nombre, j’ai dû offrir près de 300 éprouvettes. Je me rappelle avoir cessé les dons lorsque le Professeur m’annonça que j’arrivais au seuil fatidique où mes futurs descendants avaient 1 chance sur 300’000 de se rencontrer (ndlr : en lisant entre les lignes, la population à l’époque pour la Suisse était de 7 millions, donc Jules aurait vraisemblablement environ 23-24 enfants issus de ses dons).

Quelles sont vos craintes ?

Surmontables, elles sont d’ordre émotionnel. De me retrouver submergé par tant de descendant.e.s. Le cas échéant, j’aimerais être à la hauteur et pouvoir prendre le temps de découvrir et offrir autant de moi à chacun.e. Voyez-vous la situation? Vous recherchez une seule personne tandis que je suppute en retrouver de nombreuses.

Quel est votre état d’esprit par rapport à l’anonymat du don ?

Sachez déjà que vous me délivrez d’un poids, d’une certaine culpabilité liée à cet anonymat. C’était pesant pour nous et injuste pour vous (personnes issues du don). À l’époque, les circonstances cumulées de la part des parents receveurs et les éventuelles conséquences sur le plan civil d’une descendance poussaient la plupart des donneurs à rester anonymes. Le Professeur nous parlait d’une moyenne de 11 inséminations pour 1 positif. Donc certaines futures mamans venaient juste une fois tandis que pour d’autres cela durait plus de deux ans.

Connaissez-vous d’autres donneurs anonymes de l’époque?

Oui, je suis resté en contact et ami avec plusieurs donneurs de mon époque. Au fur et à mesure de ma propre démarche, je les contacterai pour les informer de votre existence et leur transmettre mon témoignage de donneur à donneur.

Au lancement dans les années 70, apparemment beaucoup de donneurs recrutés étaient des étudiants de médecine, est-ce que c’était le cas aussi dans votre groupe de donneurs ou il n’y avait pas d’étudiants en médecine?

Il n’y avait aucun étudiant du domaine médical parmi la vingtaine de donneurs que je connaissais. J’en connaissais la grande majorité, au moins de vue, car nous faisions presque tous partie de la même filière professionnelle.

Comment avez-vous été “recruté “? Comment avez-vous entendu parler de la recherche de donneurs?

Je ne me rappelle pas exactement. C’était du bouche à oreille. Il me semble que ceux de l’année d’avant y étaient en premier, tandis que petit à petit, ceux qui avaient 1 année de moins étaient recrutés. Nous étions une bonne équipe. Il régnait une bonne ambiance entre nous, nous nous organisions pour le covoiturage les mardi matin et le jeudi à midi.

Quel terme vous paraît le plus juste pour vous désigner par rapport à un enfant issu de votre don? Donneur? Géniteur? Père biologique?

Sur le moment: Donneur.

Ensuite: Donneur, Transmetteur.

Aujourd’hui: Donneur, Père biologique.

A l’époque de vos dons, est-ce que vous considériez ce don équivalent à un don de sang? 

Non. Jamais.

Du sperme ce n’est pas du sang.
Je me suis toujours «mis à la place» de ce papa qui ne pouvait pas. Je me voyais un peu comme une béquille. J’ai toujours imaginé cette famille qui naissait.

Mes relations avec le Professeur exprimaient bien mon (nos) soucis de ce qu’il adviendrait du sperme. Nous étions tous très intelligents et conscients de la portée de nos actes. Soucieux qu’aucun abus n’entache cette démarche.

Est-ce que cela a été tabou avec votre famille et votre entourage proche? Qui est au courant que vous avez été un donneur?

Non pas de tabou, ni secret.

Quels genre d’examens étaient faits? Entretien psychologique? Prises de sang ?

Très longs, complets, y compris ADN. Je me rappelle de l’entretien avec le généticien. Il aimait mes gènes à cause des 3 chromosomes particuliers. Nous craignions tous l’étape du test ADN et nous en sortions plutôt enhardis en cas de positif.
Je me rappelle de potentiels futurs donneurs écartés à cette étape.
À 18 ans, c’était aussi une validation de notre fertilité, sans passer par la case …

La partie « psy » était un peu négligée, il me semble. La psy était la secrétaire médicale du Professeur. Donc pas de souvenir de psy à part de longs entretiens avec le Professeur de gynécologie. Mais j’ai pu occulter ce détail. À priori, je ne m’en rappelle pas. Le grand enjeu psy était le choix de devenir anonyme, semi-anonyme ou non anonyme. Pour ce choix, nous n’étions pas pressés. Bien informés. Pardon, pour la comparaison, comme pour une femme sur le point d’avorter, on nous réexpliquait les conséquences avant de signer pour l’anonymat. C’est la secrétaire personnelle du Professeur qui faisait ça et gérait aussi les finances. C’est-à-dire le paiement des indemnités via chèque anonyme au porteur. Elle gérait les contacts et les rendez-vous de prise de sang tous les 2 à 3 mois pour le suivi MST.

Avez-vous régulièrement pensé aux enfants issus de vos dons ou pas du tout?

Oui toujours. Aussi peut-être un peu plus car mon premier enfant conçu naturellement est né récemment en 2020.

Qu’est-ce qu’une personne née par don devrait écrire dans une lettre s’adressant à son donneur pour favoriser un retour positif?

Chacun, chaque donneur est différent. Les raisons éventuelles de s’emmurer sont différentes pour tous.

J’ai notamment un de mes amis d’aujourd’hui, proche et ex-donneur. J’en ai parlé avec lui. Pour lui c’était anonyme et cela doit le rester. Punkt Schluss. La lettre lue dans « Podcast Hondelatte raconte: “PMA – Arthur retrouve son géniteur” – Mars 2021 » est chouette. Inspirante. Courte directe. Il est passé par un couple d’amis intermédiaires. En l’occurrence, je pense que vous ne pouvez pas prendre le risque que votre message/lettre puisse être intercepté/ouvert par un/e autre. L’intro (rassurante) je ne cherche pas un père, une famille. Et le merci au donneur pour son geste. Un petit mot sur votre éventuelle propre descendance. Ne pas insister sur l’intensité des recherches entreprises. Résumer ou laisser une porte entre-ouverte au hasard qui vous aura conduit jusqu’à lui. Laisser parler votre cœur.

Comment en êtes-vous arrivés à vouloir pouvoir vous faire connaître par les personnes issues de vos dons ?

Ça germait et je me questionnais dès le début. Cela peut sembler ridicule mais c’est le visionnage du film « FONZY », il y a 7 ou 8 ans qui m’a mis sur le cheminement -> https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonzy . Ce film a dédramatisé ma vision tout en étant touchant et drôle. Ensuite la naissance de ma fille l’été passé, votre témoignage sur la RTS, nos échanges, MyHeritage ADN (j’ai posté le kit en retour) et depuis que ce cheminement est en route, je suis bouleversé un peu comme en état de choc.

Aujourd’hui Jules n’a pas encore reçu ses résultats ADN. Nous reviendrons, s’il le veut bien, pour un entretien no 2 suite à la potentielle découverte de personnes issues de ses dons. Affaire à suivre…

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