Enfant, je me souviens avoir interrogé mes origines mais aujourd’hui, je ne saurais dire pourquoi.

Je l’ai « mal appris ». J’avais dix ans et mes parents étaient en train de se séparer. Ma mère me l’a annoncé en s’entourant de manière maladroite tout en excluant mon père du processus. Mon monde, ce que j’étais et ce que je croyais être la vérité, se sont écroulés en quelques minutes. On m’a expliqué, au-delà de la stérilité de mon père, que je représentais chaque jour sous ses yeux, l’échec de sa vie. On m’a suggéré que j’étais responsable de la séparation de mes parents. La violence de cette interprétation fut telle qu’elle détruisit irrémédiablement ma relation avec mon père. Je n’étais plus le fils d’aucun homme, j’étais le fruit d’un don anonyme.

Pendant les premiers mois qui suivirent cette annonce j’essayai de comprendre vraiment les implications de cette conception assistée, d’être rassuré sur l’amour que je voulais que mon père me porte. Mais à tout juste dix ans, communiquer de manière efficace tout en gérant ses émotions n’est pas chose aisée. Mon père, lui, n’était pas le genre d’homme à utiliser les mots « je t’aime ». Peut-être ne voulait-il pas; je pense que je ne le saurai jamais. Ce que je sais par contre c’est que malgré les difficultés que nous avons traversées, et même si nous ne nous voyons plus beaucoup aujourd’hui, il restera à jamais mon seul vrai père et je l’aime inconditionnellement. Il est vrai qu’à cette époque, alors que le secret venait de m’être révélé, je rêvais de rencontrer mon « père biologique ». Je voulais savoir qui était ce donneur, mais dès le début on m’a assuré de son anonymat et de l’impossibilité de le retrouver. Les adultes autour de moi me l’ont répété mille fois et ont tué en moi tout espoir de retrouvaille.

Rapidement le processus de deuil débuta. J’ai dû faire le deuil de ma relation avec mon père qui se délitait sans que je ne parvienne à inverser le processus. Alors trop jeune, trop insouciant, et souffrant au quotidien de la violence des mots reçus, je me suis éloigné. J’ai mené quelques recherches et retrouvé la Frauenklinik de Berne où j’avais été conçu. Les différentes personnes que j’ai eues au téléphone m’ont toutes répété à quel point les médecins avaient tout mis en œuvre afin de rendre l’identification des donneurs impossible. J’ai perdu tout espoir et me suis mis à chercher d’autres moyens de me reconstruire.

À seize ans, je ne voyais plus mon père. À dix-huit ans, influencé par une mère aimante mais encore souffrante d’avoir été abandonnée dix ans auparavant, j’ai poursuivi mon père devant un tribunal pour garder une pension plutôt que de lui téléphoner pour la lui demander. Je ne me pardonnerai jamais ce geste qui reste le seul profond regret de mon existence. Je pensais que notre relation était alors irrémédiablement détruite. Je n’avais plus de père et je cherchais partout autour de moi à gagner l’approbation des hommes que je connaissais. Des adultes, dix ans plus âgés que moi, devinrent des amis; je travaillais d’arrache-pied pour satisfaire mes professeurs masculins et j’étais incapable de sociabiliser avec les gens de mon âge. J’avais quelques rares amis d’enfance et une amie que je considérais alors comme une sœur et qui me soutenait au quotidien. Le secret avait non seulement détruit la relation avec mon père mais m’avait également éloigné de ma mère. J’avais atteint le fond.

J’ai abandonné mes études, comme un symbole du trait que je tirais sur le passé et c’est à ce moment précis que j’ai décidé de repartir à zéro.

Après quelques mois d’oisiveté, j’ai consciemment mis tout cela derrière moi. J’ai refoulé les douleurs du passé et me suis mis à avancer vers quelque chose de nouveau. J’ai commencé un apprentissage et dans les trois ans de celui-ci, je me suis fiancé à ma meilleure amie. A vingt-deux ans, fraîchement certifié, je me suis marié et me suis fait la promesse de vivre heureux. J’ai embrassé une nouvelle carrière s’axant autour du leadership et de la formation des adultes et j’ai peu à peu fait revenir à la surface les traumatismes du passé pour guérir et devenir plus fort. Cette particularité de ma conception qui m’a tant fait souffrir est finalement devenue une caractéristique de ma personnalité. Elle m’a transformé en quelqu’un d’extrêmement performant, toujours à la recherche de défis et capable de contenter ma hiérarchie comme mes clients en toutes situations. Le temps passant je pensais avoir complètement « traité » le problème et qu’il n’était plus un handicap pour moi. Autour de mes trente ans, j’étais persuadé de n’avoir plus rien à faire autour de ce thème, j’avais même réussi à renouer contact avec mon père et gagné son pardon.

À quarante ans pourtant, motivé à suivre une formation continue, j’ai dû passer une sélection sous la forme d’une évaluation psychologique. À ma grande surprise, et au-delà du résultat formel, la psychologue référente m’a proposé de continuer à explorer les liens existants entre mes comportements idiosyncrasiques et la relation à mes différents « pères ». Elle a proposé de m’orienter vers la thérapie systémique mais, peu enclin à rencontrer un nouveau thérapeute, j’ai décidé de recommencer à explorer le thème de mes origines par moi-même. J’ai réuni le courage nécessaire à faire un test ADN. Je m’étais souvent interrogé sur la pertinence d’en faire un depuis leur apparition et ma femme m’encourageait à sauter le pas. Je l’en remercie encore aujourd’hui car les résultats furent inespérés. Je me souviendrai longtemps de ce matin de décembre où cet email m’annonça mes « matchs ». En une folle journée j’ai non seulement retrouvé une demi-sœur ainsi que quatre cousines et cousins, mais j’ai également rencontré cette demi-sœur, une de mes cousines et appris qu’ensemble elles avaient retrouvé mon donneur.

Aujourd’hui, deux mois après cette rencontre, je réalise à quel point celle-ci et les quelques informations reçues sur mon donneur ont eu un effet profond en moi. Je peine encore à conscientiser si ma guérison n’était pas complète ou si ce sont les dernières réminiscences de ce traumatisme qui disparaissent, mais je suis changé. Au lendemain de cette folle journée je me suis réveillé serein et plus apaisé que je ne l’avais été depuis mon enfance. C’est comme si une sourde colère, grondant depuis toujours dans mes entrailles, s’était évaporée et avait fait place à une paix nouvelle.

Je vis désormais dans un nouvel élan. C’est grâce à la ténacité de deux femmes formidables combinée à la science et à la générosité d’un ex-inconnu que je le dois. Je ne sais pas comment la situation évoluera et c’est peut-être mieux ainsi. Je souhaite tout de même laisser un conseil à chaque couple qui considère concevoir un enfant par don. N’hésitez pas! Même si certains d’entre nous ont connus des moments difficiles nos vies sont de valeur. Par contre, n’en faites pas un secret! Parlez-en ouvertement à vos enfants. Vos fils et vos filles le sont par l’amour qu’ils et elles vous portent et non par une séquence génétique. Permettez-leur de connaître leurs origines, et offrez-leur de se sentir complet et plus vivant.

Antoine Florem, né en Suisse d’un don de 1978

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